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Commune

Tuminu

Edifice

San Niculaiu

Emplacement

​En tribune au-dessus de la porte d’entrée principale

Facteur

Crudeli Giovanni et Federico

Date

1818

Etat actuel

Ne fonctionne pas

Historique

Les facteurs signent "Giovanni e Federico Crudeli di Lucca

fecero in Bastia l’a 1818"

Etendue du clavier

45 touches de do1 à do5, avec première octave courte

Etendue du pédalier

8 touches de do1 à si1 avec octave courte

Tirasse obligée de do1 à si1

Composition du clavier manuel

Principale 8’ (do1 à la 1 obligés)

Ottava 4’ (do1 à la 1 obligés)

Quintadecima 2’

Sesquialtera 1’3/5

Decimanona 1’1/3

Vigesimaseconda 1’

Vigesimanona 1/2’

Flauto in ottava 4’ (commence au sib 1, du sib1 au si2 commun avec l’Ottava)

Cornetto 2 rangs 2’, 1’3/5

Voce Umana 8’ (au ré3)

Composition du pédalier

Pas de jeu de pédale

Tirage des jeux

A droite, sur une ligne verticale, tirage vers soi

Coupure en basses et dessus

Si2 - do3

Accessoires

Tira ripieno par tirant

Volets

Rideau disparu

Production du vent

2 soufflets cunéiformes relevés par poulie

Diapason

Tempérament

Commentaires

Les initiales GC sont tracées à l’encre sur la première touche du clavier

Réutilisation par les Crudeli d’une partie de sommier de piano (trous de chevilles et trous de pointes de chevalet) pour l’une des trois barres transversales armant le dessous du sommier

Le buffet a été repeint en gris artillerie

Quelques énigmes au sujet du faux-sommier

Le seul exemple en Corse d’un rang de Tierce principale (Sesquialtera : voir la photo de l’étiquette) !

La Voce Umana commence au ré3

Présence de 2 volets et d’un rideau, le tout semblant d’origine ?

Les déports des basses du Principale ont connu 2 époques

Les deux soufflets ne sont pas de la même facture

A qui s'adresser

Mairie

04.95.35.42.37

 

Histoire d'une étrange mais passionnante découverte

 

Les orgues anciennes, et encore plus lorsqu'elles ne jouent plus, sont des lieux de mystère.

L'abandon dont elles font l'objet, qu'elles partagent souvent avec la nef silencieuse et fermée de l'église, les rend propices au secret, augmenté par leur silence et leur immobilité.

La plupart sont heureusement encore lisibles. Le pillage et le dénuement, quand ils n'ont pas encore tout vidé, rend curieusement encore plus accessible leur lecture et la compréhension de leurs arcanes, comme par transparence.

Certaines, plus rarement, gardent farouchement cachées des énigmes puissantes. 

L'orgue de Tuminu en haut du Cap Corse est un de celles-là.

 

A une époque récente, fruit peut-être du zèle d'une population de marins, nombreux dans la commune, la boiserie du buffet a été recouverte par une couche de peinture grise, solide et bien épaisse, de celle qui sert à protéger les bateaux de l'attaque du sel marin.

La gloire de la marine française au service de la facture instrumentale !

Tout fût mis sous linceul gris, y compris les précieuses étiquettes servant à désigner pour l'organiste, les différents jeux de l'instrument.

 

Lors d'un inventaire récent, ce manque cruel d'information, pouvait être compensé par une comparaison habile avec d'autres instruments de l'île. Même si elles sont toutes des personnages uniques, les orgues corses ont cet avantage de maintenir entre elles quelquefois un air de famille.

Mais tout d'un coup, lors de la lecture du faux-sommier, associée à celle de l'abrégé des rouleaux de tirage de jeux, l'énumération des jeux, suivant le plan habituel de l'orgue classique corse, faisait apparaître une côte surnuméraire, un jeu en trop, inhabituel, inclassable, dérangeant, inattendu.

Les facteurs d'origine (les Frères Crudeli), sans le savoir, augmentaient notre soif en ne laissant aucune indication sur aucune pièce intérieure, à part l'étiquette extérieure, dormant sous sa couche coriace grise.

Certains paramètres pouvaient cependant être constatés qui pouvaient conduire à une hypothèse :

- Un jeu placé entre la 15ème (2 pieds) et la 19ème (1 pied 1/3) sur le sommier et faisant visuellement partie de la grande famille du Ripieno

- Un jeu existant tout au long du clavier et non en basse ou en dessus

- Un jeu dont les diamètres donnés par le faux-sommier, encore existant, l'inscrit parfaitement entre les deux jeux qui le flanquent

- Un tirant de jeu au buffet venant tout de suite après l'énoncé des jeux du Ripieno partant du Principale jusqu'à la 29ème. Mais un tirant possédant un ergot intérieur l'associant immanquablement au tira-ripieno.

- Les quelques tuyaux épargnés par le pillage, sauvés, rassemblés et analysés, osaient dire tout haut ce que les autres constats nous portaient à penser tout bas : il s'agissait d'un rang de Tierce principale. Les tuyaux étaient bien de taille principale, marqués du numéro de la gravure, apparemment non recoupés, et sonnaient bien à la tierce.

 

L'hypothèse d'une Tierce principale était donc lancée mais sans preuve pour la confirmer.

Seul un témoignage irréfutable pouvait nous permettre de la certifier ou de la rejeter.

Nous avons donc franchi le pas, et muni d'un racloir fin et précieux et d'une patience douce et telle qu'elle nous rendait presque immobiles dans nos gestes, nous avons gratté petit à petit la couche du gris. Une restauratrice éprouvée en peinture ancienne conduisait la périlleuse opération.

Retenant notre respiration, nous avons vu peu à peu enfin apparaître un nom et nous sommes arrêtés dès qu'il était à peu près lisible, laissant par prudence encore quelque gris.

Celui de Sesquialtera.

La joie mêlée à la surprise nous inondait, sur cette tribune perdue au bout du monde, en haut d'un Cap Corse battu par les vents. L'orgue muet venait de livrer enfin un secret ancien et bien gardé.

Et quel secret !

 

La sesquialtera est habituellement composée de deux rangs formant un intervalle de sixte : la quinte 2'2/3 et sa tierce supérieure 1'3/5. Ce jeu peut s'utiliser soit pour former avec un 8 pieds un cornet brillant et incisif destiné à réciter une voix soliste, soit être mélangé au plein-jeu de l'orgue pour qu'il dessine, avec encore plus de précision, les voix de la polyphonie qui lui sont confiées. Les tuyaux sont de taille principale et occupent toute l'étendue du clavier, sans reprise.

 

Mais là il s'agit d'un rang de tierce, principale, un rang de 17ème, voulu seul dès le départ, et conçu pour appartenir obligatoirement au Ripieno lorsqu'on appelle ce-dernier au complet.

Il n' y en a aucun exemple en Corse à part celui de l'orgue de San Ghjuvan-Battista di Calvi qui possède, lui aussi, un jeu de Sesquialtera.

 

Plusieurs questions nous assaillaient alors, nous laissant souvent sans réponse :

- pourquoi les Crudeli avaient-ils placé ce jeu ici, dans cet orgue et pas dans d'autres ? Il est vrai qu'ils ont construit peu d'instrument neufs (Luri, Tuminu, Santa Riparata) et reconstruit (Spiluncatu, Pedigrisgiu) ou augmenté (Munticellu) peu d'autres.

- pourquoi un tel "archaïsme" en 1818, qui au demeurant comblait notre goût musical et notre nostalgie d'un paradis musical européen ancien et disparu ?

- pourquoi la mode (être à la mode c'est être toujours en retard), brutale et destructrice, n'avait-elle pas fait disparaître bien vite cet anachronisme ?

 

Cette tierce rend compte de l'origine des Crudeli.  Ces facteurs viennent de Lucca en Italie où Wilhem Hermans, facteur flamand s'est installé quand il est venu des Flandres à la fin du 17ème siècle et dont l'enseignement sinon les manières de faire ont dû perdurer jusqu'aux Crudeli

* elle indique que l'on est dans une tradition flamande ancienne quand à l'emploi des sonorités, où la tierce est admise dans le plein-jeu. De nos jours, seul l'orgue allemand a maintenu cette tradition.

* elle rejoint l'anachronisme d'une 12ème principale (la Quintina) placée par les Crudeli dans l'orgue de Spiluncatu.

 

Rodolfo Bellatti, organiste et musicien génois nous écrit à ce propos :

"Je pense que c'est tout à fait possible, et que la présence d'une tierce principale n'est pas un chose tellement exotique quant à l'héritage Hermans, cet à dire dans les écoles ligures et toscanes jusqu'à 1830 environ.

En général, la tierce principale existe surtout au 18ème siècle, et elle va être abandonnée au cours du 19ème.

Il y a des Sesquialtera complètes en 1' 3/5 dans les orgues de Giovanni Battista Ciurlo (dont Calvi), dans des orgues de Luigi Ciurlo-Roccatagliata (par ex. voir le projet de Celle Ligure entre 1800 et 1810) et aussi dans des orgues en Toscane, mais aussi dans quelques orgues d'école lombarde (Amati, ou par ex. Avignon avec Luigi Mentasti, ou dans les orgues Serassi de la période 1780-1810)

Dans cette école lombarde, il est plus fréquent de trouver une sesquialtera seulement dans la basse, et en 4/5. Il n'y à pas une règle, ni pour l'étendue, ni pour la hauteur (1 3/5, 4/5, 1 rang, 2 rangs etc...)."

 

Maurizio Tarrini, autre grand musicologue ligure, nous confirme les mêmes observations :

"Cette découverte est très intéresante.

Je peux vous signaler que la Sesquilatera était aussi employée par les facteurs ligures du 18e influencés par Hermans (l'orgue de S. Maria de Carignano à Gênes). On la trouve chez Filippo Piccaluga (1719-1779) en un seul rang ou en deux est aussi chez les Roccatagliata."

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